Par Gaël Giraud, directeur de recherche CNRS, directeur de la Chaire Energie et Prospérité.
Tout le monde, ou presque, est désormais favorable à l’écologie. Il en va désormais de l’écologie comme de la prospérité, du progrès, de la justice ou de la paix : tout le monde est pour ! On peut se réjouir que le défi écologique, encore marginal en France il y a quelques années, soit devenu un lieu commun de la rhétorique politicienne. Mais la conséquence de cette unanimité, c’est que les professions de foi écologiques ne renseignent plus sur les intentions réelles de qui s’en réclame. Car personne n’a jamais été élu sur un programme d’effondrement ou va-t-en-guerre.
La transition écologique est une formidable opportunité de création d’emplois qui ont du sens, de revitalisation de nos centre-villes et de régénération du lien social : rénovation thermique des bâtiments, réhabilitation du train et du ferroutage, mobilité verte, réaménagement du territoire, agroécologie, réindustrialisation verte…
Inversement, la situation environnementale est aujourd’hui potentiellement catastrophique si nous continuons à ne rien faire. Or la France a encore augmenté ses émissions l’an dernier, pendant que l’Allemagne et l’Angleterre les réduisaient. Le pergélisol de Sibérie fond et libère des virus et des bactéries que l’on croyait disparus : l’anthrax a déjà refait surface et tué en enfant. La grippe de 1918, qui fit 100 millions de morts, pourrait ressurgir également. Pendant ce temps, les maladies tropicales “montent” de l’équateur vers les pôles à la faveur du réchauffement : la malaria s’est déjà réimplantée au sud de l’Italie. La Banque Mondiale estime à 5,2 milliards, le nombre d’humains qui souffriront de cette maladie en 2050. Pendant que 2 milliards de réfugiés climatiques chercheront un abri… La trajectoire du business as usual nous emmène vers des concentrations de CO2 dans l’atmosphère voisines de 1000 ppm (contre 400 aujourd’hui). Une expérience récente montre qu’à de tels niveaux, le cerveau humain perd 20% de ses facultés. Même les enfants des plus fortunés, tentés d’aller chercher refuge dans un ghetto en Suède, mourront donc “idiots”.
Soyons clairs, ce qui menace la sécurité des Européens, ce ne sont pas d’abord les réfugiés climatiques, ce sont les catastrophes liées au réchauffement et à l’effondrement de la biodiversité et, à plus court terme, le prochain krach financier qui se profile à l’horizon. Si nous ne faisons rien, nos enfants parvenus à l’âge de la retraite, iront eux-mêmes gonfler les colonnes de réfugiés lorsqu’ils n’auront plus d’eau au robinet. Le seul moyen d’assurer la paix et la sécurité en Europe, de protéger les plus vulnérables d’entre nous, de retrouver du sens dans nos vies quotidiennes, n’est pas d’édifier des barrières, encore moins de s’en remettre aux marchés financiers ou de privatiser à tout-va les services publics, mais de renouer avec une Europe “verte” stratège qui prenne à bras-le-corps les chances et les drames qui se profilent.
Devant l’unanimisme de façade des candidats, qui croire ? Ceux qui prennent au sérieux les opportunités et le danger écologiques proposent des mesures immédiates et à la hauteur des enjeux. Les autres veulent créer un comité dilatoire, une banque sans pouvoir ou se contentent d’un lyrisme sans engagement…
Le critère de la radicalité immédiate restreint drastiquement le choix au sein d’une élection à la proportionnelle à un tour : la liste Urgence Écologie conduite par l’universitaire Dominique Bourg, ancien vice-président de la Fondation Nicolas Hulot, est sans doute la seule qui tente d’être à la hauteur des chances et des drames qui se profilent.
Exemple : là où les Verts proposent de convertir à l’agroécologie 30 % des surfaces agricoles européennes d’ici à 2025, pour atteindre les 100 % en 2050, Urgence Écologie propose une conversion de 100 % des surfaces dans les trois ans. Délire extrémiste d’ayatollahs verts ? On disait déjà cela de ceux qui préconisaient de sauver les forêts il y a vingt ans… L’IPBES (l’équivalent du GIEC pour le vivant) vient pourtant de le rappeler : nous sommes confrontés à un effondrement de la biodiversité autour de nous sans précédent depuis plusieurs millions d’années, et dont seuls les urbains ne perçoivent pas la gravité. Dans ces conditions, ce qui est absurde, c’est de consacrer encore 70 % de la PAC pendant des décennies pour soutenir l’agrochimie. Ce qui l’est davantage encore, c’est d’augmenter la liste des oiseaux éligibles à la chasse dans nos campagnes !
Nombreuses sont aussi les listes à rivaliser de milliards en matière de financement des infrastructures décarbonées. C’est nécessaire et nous avons été les premiers, avec Alain Grandjean, à en calculer les montants et rythmes d’investissements, il y a dix ans, dans le cadre de la Fondation Nicolas Hulot. Nous avons également proposé depuis longtemps des moyens de financement réalistes qui n’exigent nullement de faire la révolution à Bruxelles. Mais une décarbonation des économies européennes en une vingtaine d’années ne se réduit pas à un simple changement bureaucratique : elle doit également engager nos comportements quotidiens, individuels et collectifs, pour surmonter notre gourmandise énergétique et apporter de la sécurité dans un contexte terriblement anxiogène. Une sécurité sociale écologique servant de filet à ceux qui perdraient provisoirement leur emploi, une carte carbone individuelle, modulable, à même de plafonner les émissions individuelles, la modulation du taux de TVA en fonction du degré d’externalités environnementales négatives, la suppression des vols aériens pour lesquels existent des équivalents ferroviaires de moins de cinq heures… autant d’éléments pour construire un authentique projet de société “vert” européen et tourner la page de l’Europe fossile financiarisée. Celle-ci, à bout de souffle, ne sait plus proposer autre chose que l’alternative entre le chômage et des bullshit jobs, la haine des migrants et le mépris à l’égard des gilets jaunes.
Les abstentionnistes français sauront-ils rejoindre les Allemands, les Belges ou les Néerlandais qui s’apprêtent à faire de l’écologie sociale volontaire le moteur de l’Europe ?