Environnement, paysages et sites classés victimes de la dictature libérale

Dans un Etat de droit démocratique, les décisions des pouvoirs publics sont régulées par les citoyens, soit par une expression citoyenne dans le cadre de consultations publiques, soit par la possibilité d’un recours à une justice administrative. Cette implication des gens, membres ou non d’associations, est au cœur de la gestion de l’environnement.

C’est la multiplication des associations qui a conduit à la création du Ministère de la protection de la nature (7 janvier 1971). Ce sont les mobilisations des années 1970 et 1980, à Marckolsheim, Fessenheim, Malville, au Larzach, sur la Loire et ailleurs, qui ont conduit à un renforcement du code de l’environnement, aux directives « littoral » et « montagne », ainsi qu’à une modification significative du code rural (remembrements) et du code forestier (défrichements). C’est la multiplication des recours contre les dérogations abusives en urbanisme qui ont abouti aux directives mettant fin à la multiplication des barres et des tours ainsi qu’au mitage de l’espace, mais aussi et surtout à un renforcement progressif du rôle prescriptif des documents d’urbanisme, avec pour aboutissement la loi SRU (2000), dont le titre premier s’intitule « renforcement de la cohérence des politiques urbaines et territoriales ».

Mais, depuis quelques années, ces bonnes pratiques démocratiques sont progressivement remises en cause sous l’influence d’une poussée libérale et de lobbies relayés jusqu’au sein du pouvoir.  Les ordonnances de François Hollande du 18 juillet 2013 inaugurent cette évolution : réduction drastique de l’intérêt à agir et possibilité de condamner les requérants à payer des dommages et intérêts aux promoteurs (le tribunal administratif de Lyon a, sur cette base, en novembre 2015, condamné deux personnes à payer 82700 euros). Le phénomène s’accélère sous Macron : suppression des enquêtes publiques et de l’intervention de commissaires enquêteurs pour les installations classées pour l’environnement (éoliennes, élevages industriels…) ainsi que pour les projets soumis à évaluation environnementale, suppression de la compétence des tribunaux administratifs de première instance à juger le contentieux des éoliennes (décembre 2018).

Les documents d’urbanisme sont partiellement vidés de leur capacité à protéger le paysage urbain et le patrimoine par l’introduction dans le code de l’urbanisme d’une disposition législative permettant de déroger à l’interdiction d’un certains nombres de dispositifs constructifs (L.111-16). Un décret a tenté, en 2015, de corriger les conséquences dramatiques de ce texte (R.111-23), sans effet concret sur le terrain. Les plans locaux d’urbanisme ne peuvent interdire les aérogénérateurs, qui sont par ailleurs exemptés d’une procédure spécifique de permis de construire et relèvent d’une dérogation générale aux règles du code de la santé publique relatives aux nuisances sonores. La France a ratifié la Convention européenne du paysage en 2005, mais elle ne l’applique pas : elle a, de fait, neutralisé les outils de planification permettant son application.

La loi Elan, promulguée en novembre 2018, renforce les dispositions des ordonnances Hollande qui visent à dissuader les recours contentieux, supprime l’avis conforme par lequel un architecte des bâtiments de France pouvait s’opposer à un projet dans les sites sauvegardés, et donne au maire la possibilité de définir le périmètre de protection des monuments historiques. Rappelons que nous devons aux ABF la protection des secteurs sauvegardés des villes depuis Malraux. Jack Lang a protesté contre ces mesures, adoptées par les seuls députés LREM et LR. Le Gouvernement envisage maintenant de régionaliser les sites classés au titre de la loi du 2 mai 1930, affaiblissant ainsi l’un des piliers de la protection des paysages emblématiques. L’avenir des inspecteurs des sites est lui-même menacé.

Empêcher les citoyens de contester une décision de l’autorité publique, réduire le pouvoir des agents de l’Etat en charge de l’environnement et désactiver les outils de protection participent d’une même démarche : supprimer toute régulation de l’action des promoteurs de tous poils.

L’Etat de droit s’affaiblit, la démocratie environnementale recule, une dictature libérale se met en place.

Le refus d’Emmanuel Macron d’instaurer le référendum d’initiative citoyenne, largement appliqué dans toutes les démocraties modernes, est le dernier exemple de ce fait : le pouvoir craint que les gens prennent leur destin en main.

Antoine Waechter